7

 

Sheemie stationnait au bas des marches qui menaient aux cuisines, sautillant d’un pied sur l’autre, attendant que sai Thorin revienne ou l’appelle. Il ignorait depuis combien de temps elle était dans la cuisine, mais ça lui semblait une éternité. Il aurait aimé qu’elle réapparaisse et surtout – par-dessus tout – qu’elle ramène Susan-sai avec elle. Cet endroit en général et ce jour-là en particulier faisaient une fâcheuse impression à Sheemie ; et son humeur devenait de plus en plus sombre à l’image de la fumée qui avait fini par obscurcir complètement le ciel à l’ouest. Ce qui se passait là-bas, et si ça avait quelque chose à voir avec les bruits de tonnerre qu’il avait entendus plus tôt, Sheemie n’en savait rien, mais il n’en voulait pas moins sortir d’ici avant que le soleil embrumé de fumée ne se couche et que la vraie Lune du Démon, non son pâle fantôme diurne, monte dans le ciel.

On poussa l’une des portes battantes qui reliaient le corridor et la cuisine ; Olive en surgit en trombe. Elle était seule.

— Elle est bien dans la resserre, dit Olive, qui se passa la main dans ses cheveux grisonnants. J’ai au moins arraché ça à ces deux pupuras, mais pas plus. J’ai su que ça allait tourner comme ça dès qu’ils ont commencé à blablater dans leur stupide sabir.

Aucun mot ne désignait précisément le patois des vaqueros de Mejis, mais « sabir » avait la faveur des citoyens de haute extraction de la Baronnie. Olive connaissait vaguement les deux vaqueros qui montaient la garde devant la resserre, en personne qui avait pas mal chevauché en son temps et donc échangé cancans et considérations météorologiques avec d’autres cavaliers de l’Aplomb. Et elle savait fichtrement bien que ces deux vétérans-là pouvaient mieux faire que s’en tenir à leur sabir. Ils l’avaient adopté afin de simuler une incompréhension qui leur épargnerait à elle comme à eux l’embarras d’un refus catégorique à sa demande. Elle avait marché dans leur combine pour la même raison, bien qu’elle eût pu leur répondre dans un sabir presque parfait – et les traiter de noms qui auraient fait se dresser les cheveux sur la tête de leurs mères qui ne les employaient jamais – si elle l’avait voulu.

— Je leur ai dit qu’il y avait des hommes en haut qui, d’après moi, pouvaient avoir dans l’idée de voler l’argenterie, raconta-t-elle. J’ai ajouté que je voulais qu’ils aillent expulser ces maloficios. Et ils ont continué pourtant à jouer les imbéciles. No habla, sai. Merde. Merde !

Sheemie songea bien à les traiter de gros fils de pute mais préféra garder le silence. Olive allait et venait devant lui, jetant de temps à autre un coup d’œil incendiaire en direction des portes closes de la cuisine. Elle finit par se camper à nouveau face à Sheemie.

— Retourne tes poches, dit-elle. Voyons un peu les trésors que tu collectionnes.

Sheemie s’exécuta, sortit de la première un canif (cadeau de Stanley Ruiz) et un biscuit entamé. Il pécha dans l’autre trois pétards dits « doigts de dames », un big bangueur et quelques allumettes soufrées.

Les yeux d’Olive pétillèrent en les apercevant.

— Écoute-moi bien, Sheemie, fit-elle.

 

 

8

 

Cuthbert tapota le visage de Roland sans grand résultat. Alain, le poussant de côté, s’agenouilla et prit les mains du Pistolero entre les siennes. Sans s’être jamais servi personnellement du shining pour ça, il avait entendu dire que c’était faisable – qu’on pouvait atteindre ainsi l’esprit d’autrui, du moins dans certains cas.

Roland ! Réveille-toi, Roland ! Je t’en prie ! Nous avons besoin de toi !

D’abord, rien ne se passa. Puis Roland s’agita, grommela et arracha ses mains de celles d’Alain. Juste avant qu’il ne rouvre les paupières, les deux garçons furent frappés de la même crainte : celle de ne plus revoir ses yeux, mais uniquement cette lumière rose délirante.

Mais non, c’étaient bien là les yeux de Roland, ceux bleus et froids d’un tireur d’élite.

Il tenta de se relever, une première fois sans succès. Il tendit les mains. Cuthbert prit l’une, et Alain l’autre. Comme ils le hissaient de concert, Bert s’aperçut de quelque chose d’étrange et d’effrayant : il y avait des fils blancs dans les cheveux de Roland. Le matin même, il n’en avait aucun, il l’aurait juré. Mais il est vrai que la matinée semblait déjà très loin.

— Combien de temps suis-je resté « absent » ?

Roland palpa du bout des doigts la bosse qu’il avait au milieu du front en faisant la grimace.

— Pas très longtemps, répondit Alain. Cinq minutes, peut-être. Je regrette de t’avoir frappé, Roland, mais bien obligé. C’était en train de… j’ai cru que c’était en train de te tuer.

— Peut-être que c’était le cas. Il est à l’abri ?

Sans un mot, Alain lui désigna le sac.

— Bien. Il vaut mieux maintenant que ce soit l’un de vous qui s’en charge. Moi, je pourrais être…

Il chercha le terme exact et, quand il l’eut trouvé, un sourire glacial retroussa légèrement ses commissures.

— … tenté, acheva-t-il. À cheval pour la Roche Suspendue. Nous avons une tâche à terminer.

— Roland…, commença Cuthbert.

Ce dernier se retourna, une main sur le pommeau de sa selle.

Cuthbert s’humecta les lèvres et un instant, Alain crut qu’il ne réussirait pas à lui poser la question. Si tu ne le fais pas, moi, je le ferais, songea-t-il… mais Bert y arriva, les mots se bousculant tout à coup.

— Qu’as-tu vu ?

— Beaucoup de choses, dit Roland. Mais les trois quarts s’effacent déjà de ma mémoire, un peu comme les rêves au réveil. Ce dont je me souviens, je vous le raconterai chemin faisant. Vous devez le savoir, parce que ça change tout. On va retourner à Gilead, mais pas pour très longtemps.

— Et où irons-nous, après ? demanda Alain, montant à cheval à son tour.

— Vers l’Ouest. En quête de la Tour Sombre. Si nous survivons à la journée d’aujourd’hui, bien entendu. Venez. Allons nous emparer de ces citernes.

 

 

9

 

Les deux vaqueros se roulaient une cigarette quand une forte explosion retentit à l’étage. Ils sursautèrent avec un bel ensemble et échangèrent un regard, le tabac de leurs futures clopes saupoudrant le sol sous la forme de risées brunes. Une femme poussa un cri perçant. Les portes s’ouvrirent à deux battants. C’était à nouveau la veuve du Maire, mais accompagnée d’une servante cette fois. Les vaqueros la connaissaient très bien – c’était Maria Tomas, la fille d’un vieux compadre du Piano ranch.

— Ces salopards de voleurs ont mis le feu à la maison ! s’exclama Maria, s’adressant à eux en sabir. Venez nous aider !

— Sai Maria, on nous a donné l’ordre de garder…

— Une putina enfermée dans la resserre ? hurla Maria, les yeux lançant des flammes. Va donc, vieil âne bâté, avant que toute la maison prenne feu ! Tu te vois en train d’expliquer au Señor Lengyll que t’es resté là à te tourner les pouces et à t’en servir comme tire-pets pendant que Front de Mer brûlait de fond en comble sous tes yeux ?

— Allez donc ! leur intima Olive d’un ton sec. Seriez-vous des couards ?

Il y eut au-dessus de leurs têtes une succession d’explosions moins fortes : dans le salon d’apparat, Sheemie faisait partir les « doigts de dames ». Il enflamma les rideaux avec la même allumette.

Les deux viejos échangèrent un coup d’œil.

— Andelay, dit le plus âgé des deux, fixant à nouveau Maria. Il ne s’embarrassa plus du sabir.

— Surveillez cette porte, lui dit-il.

— Avec des yeux d’aigle, opina-t-elle.

Les deux vieillards sortirent en hâte, l’un d’eux, les doigts noués sur les cordes de ses bolas, l’autre tirant un coutelas de la gaine pendant à sa ceinture.

À peine entendit-elle résonner leurs pas dans l’escalier au bout du couloir qu’Olive fit signe à Maria et les deux femmes traversèrent la pièce. Maria tira les verrous et Olive ouvrit la porte. Susan sortit aussitôt, les regarda l’une et l’autre, avec un sourire indécis. Maria contempla bouche bée le visage enflé et les croûtes de sang autour du nez de sa maîtresse.

Susan saisit la main de Maria avant que la petite bonne ne lui effleure le visage, lui pressa gentiment les doigts.

— Tu crois que Thorin voudrait encore de moi, maintenant ? lui dit-elle avant de prendre pleinement conscience de qui était son autre sauveteuse.

— Pardon, Olive… sai Thorin… loin de moi l’intention de me montrer cruelle. Mais sachez que Roland, celui que vous connaissez sous le nom de Will Dearborn n’aurait jamais…

— Je le sais parfaitement, dit Olive. Mais le moment est mal choisi pour en parler. Venez.

Maria et elle entraînèrent Susan hors de la cuisine et, à l’opposé des escaliers menant au corps principal du bâtiment, vers les magasins, à l’extrémité nord du niveau inférieur. Une fois à la penderie de réserve, Olive demanda à ses deux compagnes de patienter. Elle ne s’absenta tout au plus que cinq minutes, mais Susan et Maria eurent l’impression qu’elle n’en finissait pas.

À son retour, Olive était affublée d’un poncho aux couleurs vives bien trop grand pour elle – il aurait pu appartenir à son mari, mais Susan se fit la remarque qu’il aurait été également trop grand pour feu le Maire. Olive en avait coincé un pan dans son jean pour éviter de s’y prendre les pieds. Elle en portait deux autres, plus petits et plus légers, pliés sur le bras comme des couvertures.

— Mettez ça, dit-elle. Il va faire froid.

Quittant la penderie, elles enfilèrent un étroit couloir de service menant à l’arrière-cour. Là, avec un peu de chance (et si Miguel était toujours endormi), Sheemie les attendrait avec des chevaux. Olive espérait de tout son cœur qu’elles auraient cette chance. Elle tenait à ce que Susan soit en sécurité loin d’Hambry avant le coucher du soleil.

Et avant le lever de la lune.

 

 

10

 

— Susan a été faite prisonnière, dit Roland aux autres tandis qu’ils s’acheminaient à l’ouest vers la Roche Suspendue. C’est la première chose que j’ai vue dans le cristal.

Il parlait d’un air tellement absent que Cuthbert faillit tirer sur les rênes. Ce n’était plus là l’amant fougueux de ces derniers mois. Un peu comme si Roland avait trouvé le moyen de parcourir en rêve l’atmosphère rose contenue dans le cristal et qu’une partie de lui continuait. Ou bien est-ce le cristal qui le parcourt, lui ? se demanda Cuthbert.

— Quoi ? s’exclama Alain. Susan, capturée ? Comment ça ? Par qui ? Elle n’a rien ?

— C’est Jonas qui l’a prise. Elle est blessée, mais pas grièvement. Elle guérira… et elle vivra. Je tournerais bride sur le champ si je croyais sa vie vraiment en danger.

Devant eux, masquée et démasquée successivement par le sable, tel un mirage, se dressait la Roche Suspendue. Cuthbert apercevait le soleil piqueter les citernes d’étincelles embrumées, des hommes, aussi. En nombre. Beaucoup de chevaux, également. Il flatta l’encolure de sa monture, puis lança un coup d’œil en biais pour s’assurer qu’Alain avait fait suivre la mitraillette de Lengyll. Oui, il l’avait bien. Dans la foulée, Cuthbert porta la main au bas de son dos pour s’y confirmer la présence de sa fronde. Elle aussi était bien là. Ainsi que son sac en daim contenant les munitions, et à présent, outre ses projectiles d’acier, un certain nombre des big bangueurs volés par Sheemie.

Il emploie toute son énergie à s’empêcher de rebrousser chemin, songea Cuthbert, trouvant cette idée réconfortante – parfois Roland le terrorisait. Il avait en lui quelque chose qui outrepassait l’acier le mieux trempé. Quelque chose qui avait à voir avec la folie. Quand sa présence en lui était identifiée, on était heureux de l’avoir dans son camp… mais assez souvent, on aurait préféré son absence. Dans les deux camps.

— Où est-elle ? demanda Alain.

— Reynolds l’a ramenée à Front de Mer. Elle est sous clé dans la resserre… ou l’était, du moins. Je ne saurais trancher parce que…

Roland s’interrompit et s’offrit une pause de réflexion.

— Le cristal voit loin, mais parfois, il voit davantage. Parfois, il voit un futur déjà en train de se produire.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? Comment le futur peut-il être déjà en train de se produire ? demanda Alain.

— J’en sais rien, et je crois pas qu’il en soit toujours allé ainsi. Je pense que ça a davantage à voir avec le monde qu’avec l’Arc-en-Ciel de Maerlyn. Le temps est étrange, désormais. On est bien placés pour le savoir, non ? Comme les choses semblent parfois… déraper. On dirait presque que la tramée est partout, qu’elle altère toute chose. Mais Susan est saine et sauve. Je le sais, et ça me suffit. Sheemie va l’aider… ou l’aide déjà. Sheemie a échappé à Jonas, les dieux savent comment, et il a suivi Susan jusqu’au bout.

— Bravo, Sheemie ! fit Alain brandissant le poing. Hourra ! Puis : « Et nous ? Tu nous as vus dans le futur ? »

— Non. Cette partie est allée beaucoup trop vite – j’ai à peine eu le temps de jeter un coup d’œil avant que le cristal ne m’entraîne. Ne me balaie, devrais-je dire. Mais… j’ai vu de la fumée à l’horizon. Je me souviens de ça. C’était peut-être celle des citernes en flammes ou bien celle des broussailles empilées à l’entrée de Verrou Canyon. Ou même celle des deux. Je crois que nous allons réussir.

Cuthbert dévisagea son vieil ami, saisi d’une bizarre angoisse. Le jeune homme si profondément amoureux que Bert avait dû l’étendre d’un coup de poing dans la poussière de la cour du Bar K afin de le rappeler à ses responsabilités… Où était passé ce jeune homme, exactement ? Qu’est-ce qui l’avait transformé, lui donnant ces mèches de cheveux blancs si dérangeantes ?

— Si nous survivons à ce qui nous attend, reprit Cuthbert, regardant attentivement le Pistolero, elle nous rejoindra sur la route. N’est-ce pas, Roland ?

Il lut la souffrance sur le visage de son ami et comprit soudain : l’amoureux était toujours là, mais le cristal lui avait dérobé sa joie, ne lui laissant que le chagrin. Oui, plus autre chose – un nouveau but ; Cuthbert ne le sentait que trop –, mais il restait à déterminer.

— Je ne sais pas, répondit Roland. J’en viens presque à espérer que non, parce que nous serons plus jamais comme nous avons été.

— Quoi ?

Cette fois, Cuthbert tira sur les rênes et arrêta sa monture.

Roland le regarda assez calmement, mais il avait maintenant des larmes plein les yeux.

— Nous sommes les bouffons du ka, dit le Pistolero. Le ka est comme le vent, c’est ce que dit Susan.

Il regarda d’abord Cuthbert sur sa gauche, puis Alain sur sa droite.

— La Tour est notre ka ; le mien, en particulier. Mais ce n’est pas celui de Susan, pas plus qu’elle n’est mienne. John Farson n’est pas davantage notre ka. Nous n’allons pas affronter ses hommes pour provoquer sa défaite, mais uniquement parce qu’ils sont sur notre chemin.

Il leva les mains, puis les laissa retomber, comme pour leur laisser entendre : Que faut-il vous dire de plus ?

— La Tour n’existe pas, Roland, dit Cuthbert d’un ton patient. J’ignore ce que tu as vu dans cette boule de cristal, mais la Tour n’existe pas. Sauf comme symbole, je suppose – comme le Graal d’Arthur ou la Croix de l’Homme Jésus –, mais elle n’existe pas réellement, en dur…

— Si, dit Roland. Elle existe réellement.

Alain et Cuthbert le considérèrent avec perplexité, sans déceler la moindre trace de doute dans son expression.

— Elle existe réellement et nos pères le savent. Au-delà du pays des ténèbres… je n’arrive pas à me souvenir de son nom pour le moment, c’est l’une des choses que j’ai oubliées… se trouve le Monde Ultime et c’est dans le Monde Ultime que se dresse la Tour Sombre. Son existence est le grand secret que gardent nos pères ; c’est le ka-tet qui a maintenu leur cohésion à travers toutes ces années de déclin du monde. Quand nous reviendrons à Gilead – si nous y revenons, mais à présent je crois à notre retour –, je leur raconterai ce que j’ai vu et ils confirmeront mes dires.

— Tu as vu tout ça dans le cristal ? demanda Alain, la voix étouffée par une crainte respectueuse.

— Et beaucoup plus.

— Mais pas Susan Delgado, ajouta Cuthbert.

— Non. Quand on en aura fini avec ces hommes-là et quand elle en aura fini avec Mejis, son rôle dans notre ka-tet sera terminé. À l’intérieur du cristal, on m’a donné le choix : passer ma vie avec Susan en tant que son mari et père de l’enfant qu’elle porte… ou bien la Tour.

Roland s’essuya le visage d’une main tremblante.

— J’aurais choisi Susan sans hésiter, s’il n’y avait eu une chose : la Tour menace ruine et, si jamais elle s’écroule, tout ce que nous connaissons sera balayé. Alors régnera un chaos qui dépasse notre imagination. Il nous faut aller de l’avant… et c’est ce que nous ferons.

Au-dessus de ses joues fraîches et lisses, au-dessous de son front frais et lisse, brillaient les yeux de tueur au regard vieux comme le monde qu’Eddie Dean apercevrait pour la première fois dans le miroir des toilettes d’un avion de ligne. Mais pour l’heure, ils étaient baignés de larmes d’enfant.

Mais sa voix n’avait rien d’enfantin, en revanche.

— J’ai choisi la Tour. Il le faut. Quant à Susan, qu’elle vive longtemps heureuse avec quelqu’un d’autre – c’est ce qu’elle fera, en temps et heure. Quant à moi, mon choix est fait : la Tour.

 

 

11

 

Susan enfourcha Pylône que Sheemie avait amené en hâte dans l’arrière-cour après avoir mis le feu aux draperies du salon d’apparat. Olive Thorin montait l’un des hongres de la Baronnie avec Sheemie en croupe, tenant la longe de Capi. Maria ouvrit la porte de service, leur souhaita bonne chance et tous trois s’en furent au trot. Le soleil sombrait à l’ouest, mais le vent avait balayé une bonne part de la fumée qui s’était élevée plus tôt. Quoi qu’il se soit passé dans le désert, c’était désormais fini… ou bien ça se déroulait dans une autre strate de ce même temps présent.

Roland, que tout aille bien pour toi, songea Susan. Je te reverrai bientôt, mon chéri… le plus vite qu’il me sera possible.

— Pourquoi nous dirigeons-nous vers le nord ? demanda-t-elle après une demi-heure de chevauchée silencieuse.

— Parce que la Route Maritime est plus sûre.

— Mais…

— Chut ! Dès qu’on s’apercevra de votre fuite, on fouillera la maison… si elle n’a pas brûlé de fond en comble, ça va de soi. En ne vous trouvant point, ils enverront des hommes en direction de l’Ouest, le long de la Grand-Route.

Elle lança à Susan un coup d’œil qu’il était difficile d’attribuer à l’émotive Olive Thorin que les habitants d’Hambry connaissaient… ou croyaient connaître et dont ils faisaient discrètement des gorges chaudes.

— Si je sais, moi, que c’est la direction que vous prendriez, d’autres aussi, et il vaut mieux les éviter.

Susan garda le silence. Elle était trop troublée pour parler, mais Olive semblait savoir de quoi il retournait et Susan lui en fut reconnaissante.

— Le temps qu’ils se mettent en chasse nez au vent, il fera nuit. Ce soir, nous ferons halte dans l’une des grottes de la falaise à deux lieues d’ici. Je suis fille de pêcheur, je connais ces grottes comme ma poche.

Se remémorer les grottes où elle avait joué petite fille parut la rasséréner.

— Demain, nous couperons vers l’ouest, comme vous en avez envie. J’ai bien peur que vous ne deviez vous résigner à subir une vieille veuve rondouillarde comme chaperon, quelque temps.

— Vous êtes trop bonne, dit Susan. Vous devriez nous laisser continuer tout seuls, Sheemie et moi, sai.

— Et je retournerai vers quoi ? Ma foi, je ne peux même point obtenir que deux vieux pistards de garde dans la cuisine m’obéissent. Fran Lengyll est à présent le patron de tout le bataclan et je ne suis point pressée de voir comment il va se débrouiller. Ni de savoir s’il décidera qu’il vaut mieux me déclarer folle et m’enfermer dans une hacienda avec des barreaux aux fenêtres. À moins que je ne veuille assister aux débuts d’Hash Renfrew comme Maire, et le voir poser ses bottes sur la nappe de mes tables ?

Olive s’esclaffa ouvertement.

— Désolée, sai.

— Nous aurons tous le temps d’être désolées plus tard, reprit Olive, que ce sujet mettait d’une humeur extraordinairement joyeuse. Pour l’heure, l’important est d’atteindre ces grottes sans se faire remarquer. Il faut donner l’impression que nous nous sommes évaporées. Stop !

Olive arrêta son cheval et, sans mettre pied à terre, lança un coup d’œil alentour pour prendre la mesure de l’endroit où elle se trouvait, opina du chef et, se tournant sur sa selle, s’adressa à Sheemie.

— Jeune homme, le moment est venu d’enfourcher ton fidèle mulet et de regagner Front de Mer. Si jamais des cavaliers sont à notre poursuite, tu pourras les détourner de notre chemin avec quelques mots bien choisis. Tu veux bien faire ça ?

Sheemie parut affligé outre mesure.

— J’ai point de mots bien choisis, sai Thorin, si fait. J’ai quasiment point de mots du tout.

— Quelle absurdité, dit Olive, embrassant Sheemie sur le front. Rentre à bon trot. Si tu n’as aperçu personne lancé à nos trousses quand le soleil touchera les collines, alors tourne bride et repars vers le nord. Nous t’attendrons près du poteau indicateur. Tu vois où je veux dire ?

Sheemie le pensait, bien qu’il bornât l’extrême frontière nord de sa maigre géographie.

— Le rouge ? Avec le sombrero dessus ? Et la flèche qui pointe vers la ville ?

— Celui-là même. Nous n’irons guère plus loin avant que la nuit tombe, mais il y aura un beau clair de lune ce soir. Si tu ne viens point tout de suite, nous t’attendrons. Mais tu dois t’en retourner et dévoyer de notre route tout groupe d’hommes qui nous donne la chasse. Tu m’as bien comprise ?

Sheemie avait compris. Il se laissa glisser à bas du cheval d’Olive, fit approcher Caprichoso d’un claquement de langue et l’enfourcha, grimaçant de douleur quand la partie de son postérieur mordue par le mulet toucha le dos de l’animal.

— Si fait, sai Olive.

— Bien, Sheemie. Très bien, va maintenant.

— Sheemie ? fit Susan. Un instant. Approche-toi, s’il te plaît.

Il obéit, tenant son chapeau devant lui et les yeux levés vers elle, en adoration. Susan se pencha et l’embrassa non pas sur le front mais à pleine bouche. Sheemie manqua défaillir.

— Grand merci, sai, dit Susan. Merci pour tout.

Sheemie opina. Quand il s’exprima, sa voix n’était plus qu’un murmure.

— C’est le ka qui a tout fait, dit-il. Je sais ça… mais je vous aime, Susan-sai. Allez en paix. À tout à l’heure.

— Il me tarde d’y être.

Mais il n’y eut ni de tout à l’heure ni de plus tard pour eux. Sheemie se retourna tandis que son mulet l’emmenait vers le sud et fit un salut de la main. Susan lui rendit son salut. Ce fut la dernière fois que Sheemie la vit et, à de nombreux égards, ce fut une bénédiction.

 

 

12

 

Latigo avait posté des sentinelles à un mille alentour de la Roche Suspendue ; mais le garçon blond, sur lequel Roland, Cuthbert et Alain tombèrent en approchant des citernes, ne représentait aucun danger pour qui que ce soit. L’air peu sûr de lui et confus à l’extrême, il avait du purpura autour de la bouche et du nez, ce qui suggérait que les hommes que Farson avait délégués pour cette corvée avaient chevauché sans désemparer, et sans beaucoup se ravitailler de frais.

Quand Cuthbert lui donna le sigleu de l’Homme de Bien – mains jointes sur la poitrine, la gauche sur la droite, puis tendues vers la personne qu’on saluait –, la sentinelle blonde l’imita avec un sourire de soulagement.

— Quelle liesse et rareté par là-bas ? demanda-t-il, avec un très fort accent du Monde de l’Intérieur – aux oreilles de Roland, le garçon avait tout d’un Nordien.

— Trois jeunes qu’ont tué deux gros bonnets se sont carapatés dans les collines, répondit Cuthbert.

Étrangement doué pour singer les autres, il restitua l’accent du garçon sans défaut.

— Y a eu de la bagarre. C’est fini, à l’heure qu’il est, mais on s’est battu terrible.

— Qu’…

— Pas le temps, le coupa Roland. On a des dépêches.

Il joignit les mains sur la poitrine, puis les tendit.

— Aïle ! Farson !

— Homme de Bien ! lui lança le blondinet.

Il retourna le salut avec un sourire signifiant qu’il aurait aimé demander à Cuthbert de quel coin il venait et à qui il était apparenté, s’il en avait eu le temps. Ils le laissèrent derrière eux, entrant dans le périmètre de Latigo. Pas plus difficile que ça.

— Rappelez-vous, il faut frapper vite et bien, leur dit Roland. Pas question de ralentir l’allure. Là où on rate, on doit laisser tomber… impossible de s’y reprendre à deux fois.

— Mes dieux, qu’est-ce que tu nous chantes donc là ! dit Cuthbert, mais il souriait.

Sortant sa fronde de son étui de fortune, il en vérifia l’élastique du pouce. Puis il humecta ledit pouce et prit la direction du vent. Pas de gros problème de ce côté-là, s’ils continuaient à avancer comme précédemment ; le vent soufflait fort, mais ils l’avaient dans le dos.

Alain ôta la mitraillette de son épaule, l’examina d’un air de doute, puis fit jouer d’un coup sec la glissière du chien.

— Je connais rien à cet engin, Roland. Il est chargé, et je crois deviner comment on s’en sert, mais…

— Alors sers-t’en, conclut Roland.

Les trois garçons prenaient de la vitesse et les sabots de leurs montures tambourinaient le sol durci. Le vent, soufflant en rafales, ballonnait le devant de leurs ponchos.

— C’est le genre de boulot pour lequel on l’a conçu. S’il s’enraye, jette-le et sers-toi de ton revolver. Tu es prêt ?

— Oui, Roland.

— Bert ?

— Si fait, lança Cuthbert, exagérant l’accent d’Hambry. Pour sûr, pour sûr.

Face à eux, des groupes de cavaliers passaient et repassaient devant et derrière les citernes, soulevant des nuages de poussière. Ils étaient en train de préparer la colonne à prendre le départ. Des hommes à pied regardaient les nouveaux venus avec curiosité, mais sans s’alarmer le moins du monde. Erreur fatale.

Roland dégaina ses deux revolvers.

— Gilead ! s’écria-t-il. Aile ! Gilead !

Il éperonna Flash pour le mettre au galop. Ses deux compagnons l’imitèrent. Cuthbert était à nouveau au milieu, assis sur ses rênes, la fronde en main, un éventail d’allumettes lucifères entre les lèvres.

Les pistoleros s’abattirent sur la Roche Suspendue comme des furies.

 

 

13

 

Vingt minutes après avoir renvoyé Sheemie vers le sud, Susan et Olive, à l’abrupt d’un tournant, se retrouvèrent face à face avec trois cavaliers qui tenaient le milieu de la route. Aux dernières lueurs du soleil couchant, Susan nota que celui du centre avait la main tatouée d’un cercueil bleu. C’était Reynolds et son cœur se serra.

Celui qui flanquait Reynolds sur sa gauche – il portait un chapeau blanc de meneur de chevaux plein de taches et avait une coquetterie dans l’œil – elle ne le connaissait point. Mais celui qui se trouvait à sa droite – et qui avait l’apparence d’un prédicateur au cœur de pierre – c’était Laslo Rimer. Ce fut à lui que Reynolds lança un coup d’œil, après avoir souri à Susan.

— Ma foi, Laslo et moi, on a même pas pu se trouver à boire pour expédier feu son frère, le Chancelier de Tout Ce Que Vous Voudrez et le Ministre de Très Grand Merci avec un mot ou deux, fit Reynolds. On était à peine en ville qu’on nous a persuadés de venir ici. Moi, j’voulais pas y aller, mais… bordel ! La vieille dame, c’est quelque chose ! Elle vous convaincrait un cadavre de tailler une pipe, si vous voulez bien me passer la crudité de cette expression. Je crois que votre tante a perdu une ou deux roues de sa charrette, sai Delgado. Elle…

— Vos amis sont morts, lui dit Susan.

Reynolds s’interrompit, puis haussa les épaules.

— Bah. Peut-être ben que si, peut-être ben que no. Moi, de toute façon, j’ai décidé de poursuivre ma route sans eux, même s’ils sont pas morts. Mais je pourrais rôder encore une soirée dans le coin. Cette Fête de la Moisson… j’en ai entendu tellement raconter sur comment les gens de l’Extérieur la fêtent. Leur feu de joie, en particulier.

Celui qui avait la coquetterie dans l’œil partit d’un rire gras.

— Laissez-nous passer, dit Olive. Cette fille n’a rien fait, ni moi non plus.

— Elle a aidé Dearborn à s’échapper, fit Rimer. L’assassin de votre mari et de mon frère. Ce n’est point là ce que j’appelle rien.

— Les dieux puissent-ils restaurer Kimba Rimer dans la clairière, dit Olive, mais la vérité, c’est qu’il a pillé la moitié du trésor de cette ville et ce qu’il n’a point remis à John Farson, il l’a gardé par-devers lui.

Rimer eut un mouvement de recul comme si on l’avait giflé.

— Vous ne saviez point que j’étais au courant ? Laslo, je devrais être furieuse d’avoir eu si peu de considération de la part de vous tous… mais à quoi bon vouloir de la considération de vous et de vos pareils ? J’en ai su assez pour me soulever le cœur, mais laissons cela. Je sais aussi que l’homme qui se trouve à vos côtés…

— Taisez-vous, marmonna Rimer.

— … est vraisemblablement celui qui a percé le cœur si noir de votre frère ; on a aperçu sai Reynolds au petit matin dans cette aile de Front de Mer, c’est ce qu’on m’a dit…

— La ferme, salope !

— … et c’est ce que je crois.

— Vaut mieux que vous fassiez ce qu’il dit, sai, tenez votre langue, lui conseilla Reynolds.

Sa bonne humeur nonchalante avait disparu. Susan songea : Il n’aime point qu’on sache ce qu’il a fait. Même s’il a la situation bien en main et même si le fait qu’on le sache ou non ne risque point de lui nuire. Mais il est amoindri sans Jonas. Très amoindri. Il le sait, ça aussi.

— Laissez-nous passer, dit Olive.

— Non, sai, je ne peux pas faire ça.

— Alors je vais vous y aider. Je peux ?

Pendant la palabre, Olive avait glissé subrepticement sa main sous son poncho outrageusement grand, d’où elle sortait maintenant une énorme pistola, à la crosse en ivoire jauni et au canon filigrané en vieil argent terni, couronné d’un rouet de cuivre.

Olive n’avait pas bien fait d’exhiber la chose – elle se prit dans son poncho et elle dut se débattre pour l’en dépêtrer. Elle n’avait pas bien fait de l’armer non plus, manœuvre dont elle vint à bout après deux essais et en mobilisant ses deux pouces. Mais les trois hommes furent réduits à quia, à la vue de l’antique arquebuse entre les mains de la veuve, Reynolds pas moins que les deux autres ; il était là sur son cheval, la mâchoire pendante. Jonas en aurait chialé.

— Tuez-la ! piaula une voix au timbre fêlé par la vieillesse dans le dos des hommes qui barraient la route. Qu’est-ce que vous attendez, espèces de goujats imbéciles ? TUEZ-LA !

Reynolds sursauta et porta la main sur son arme. Il avait beau être rapide, il avait concédé trop d’avance à Olive qui le battit à plates coutures. À l’instant où il dégainait le canon de son revolver, la veuve du Maire tenait déjà à deux mains la vieille pétoire et, plissant les yeux comme une gamine forcée d’avaler une potion amère, appuyait sur la détente.

Il y eut bien une étincelle, mais la poudre humide rendant un flop épuisé se volatilisa dans une bouffée de fumée bleue. Et la balle – assez grosse pour emporter le haut de la tête de Reynolds, eût-elle été tirée – resta dans le canon.

L’instant d’après, l’arme de ce dernier rugissait dans son poing. Le cheval d’Olive se cabra en hennissant. Et elle bascula du hongre, cul par-dessus tête, un trou noir dans la rayure orange de son poncho – la rayure qui barrait son cœur.

Susan s’entendit pousser un hurlement. Son cri lui parut provenir de très loin. Elle aurait pu continuer un certain temps si elle n’avait pas entendu le clip-clop des sabots d’un poney qui s’approchait, derrière les hommes barrant la route… et deviné. Avant même que celui à la coquetterie dans l’œil ne se soit écarté, elle avait deviné. Et ses cris cessèrent.

Le poney fourbu qui avait ramené la sorcière à Hambry avait été remplacé par un plus frais, mais c’étaient la même carriole noire, les mêmes symboles cabalistiques dorés, la même conductrice. Rhéa tenait les rênes dans ses mains terreuses et griffues, sa tête se balançant de côté et d’autre comme celle d’un vieux robot rouillé. Elle souriait à Susan sans bienveillance. Son rictus était celui d’un cadavre.

— Salut à toi, ma doucette, fit-elle, s’adressant à Susan comme la nuit, il y avait des semaines et des mois de ça, où cette dernière était venue à sa masure prouver son honnêteté. Cette nuit où Susan était venue la trouver en courant une bonne partie du chemin, tel était son entrain. À la clarté de la Lune des Baisers, le sang fouetté par l’exercice, rosie par l’effort, elle chantait « Amour Insouciant ».

— Tes p’tits potes de baise m’ont chipé mon cristal, tu sais, fit Rhéa, claquant de la langue pour arrêter le poney à quelques pas des cavaliers.

Reynolds lui-même baissa les yeux vers elle avec un malaise manifeste.

— M’ont pris mon joli glam, voilà ce qu’ils ont fait, les garnements. Les méchants, méchants garçons. Mais il m’a montré bien des choses pendant que j’l’avais encore, si fait. Il voit loin et de tous les côtés. J’ai oublié beaucoup de choses… mais point la voie par laquelle tu viendrais, ma douceur. Point celle que te ferait prendre cette sale garce qu’est morte, gisant là-bas dans la poussière de la route. Maintenant, faut que tu t’en retournes en ville.

Elle sourit plus largement, son rictus devenant par là quelque chose d’inexprimable.

— Le temps de la fête est venu, t’sais.

— Laissez-moi passer, dit Susan. Laissez-moi m’en aller, si vous ne voulez point avoir à en répondre auprès de Roland de Gilead.

Rhéa, ignorant ses paroles, s’adressa à Reynolds.

— Liez-lui les mains par-devant et mettez-la debout au fond de ma charrette. Y a du monde qui voudra la voir. Y pourront bien se rincer l’œil, mais c’est tout ce qu’ils auront. Si sa tante a fait de la bonne besogne, y en aura un paquet de par la ville. Préparez-moi ça, maint’nant, et traînez point.

 

 

Magie et Cristal
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